Valeria Mantello
Formatrice et psychologue spécialisée en questions de santé mentale, précarité et habitat.
Elle possède 12 ans d’expérience en coordination de dispositifs santé mentale / logement.
« Il semble que le voisinage soit devenu l’horizon ultime du « lien social », le garant de la paix civile. Mais les souffrances du voisinage, bien réelles sont moins facilement régulées par des habitants plus vulnérables et moins solidaires » .
(C. Lévy-Vroelant)
Depuis les années 90 les questions de santé mentale ont « débordé » le cadre « psy » pour aller investir d’autres secteurs tels que le milieu du travail (stress au travail, burn-out, risques psychosociaux…), le travail social (souffrances psychosociales, vulnérabilités psychiques) ; l’éducation nationale (dépression chez les jeunes, phobies scolaires…) ; le secteur du logement (isolement, mode d’habiter reclus, Diogène, troubles de voisinage…) notamment chez les bailleurs sociaux.
La santé mentale, de quoi parle-t on ?
Malgré les efforts de conceptualisation, la santé mentale reste un concept difficile à définir, toujours en mutation, en lien avec les évolutions historiques, elle échappe aux définitions « totalisantes » et ne peut pas être pensé en dehors du contexte socio-culturel. Néanmoins une définition ; ne serait-ce que partielle ; nous semble nécessaire. Aujourd’hui un consensus existe sur le fait qu’une « bonne santé mentale » renvoie à la capacité de vivre en harmonie avec soi-même, avec les autres et avec son environnement. Ainsi la santé mentale de la population dépend autant des relations que les individus entretiennent avec eux-mêmes et avec les autres, avec l’environnement (logement ; immeuble ; quartier ; ville…) dans lequel ils évoluent, lequel impact à la fois les modes de vie et d’habiter de ces individus.
La santé mentale, quels liens avec les notions d’habitat-habiter ?
Depuis des temps immémorables hommes et femmes ont toujours « habité » des espaces. De la caverne préhistorique et mythique aux lieux d’habitation contemporains l’humain habite, car dans l’acte d’habiter il s’habite soi-même, habite un corps, une langue, une culture et son environnement. Or « se loger » ou avoir un toit ne suffisent pas pour « savoir » habiter. Habiter c’est mettre de soi à l’intérieur du logement.
Lorsqu’on est en difficulté psychique il est fréquent que la dimension de l’habiter soit perturbée, par exemple l’entretien du logement va venir refléter ce qui se passe à l’intérieur de soi (désintérêt, incurie, dégradations…) ou bien les relations avec le voisinage peuvent être aussi perturbées (dérégulation des interactions sociales) on parle alors de « troubles de voisinage » mais aussi du « voisinage et ses troubles ».
Des formes d’habiter atypiques apparaissent comme le syndrome de Diogène ou l’incurie, très médiatisés aujourd’hui.
C’est ainsi que les lieux d’habitat, le logement mais aussi la cage escalier, l’immeuble et son voisinage proche sont souvent les lieux où les premiers signes de souffrance psychique ou d’urgence se manifestent devant le désarroi des voisins, des gardiens, des responsables d’agence. En effet une situation de souffrance peut se manifester par des signes de détresse observables dans le logement tels que : des volets fermés, des bruits, des boîtes à lettres remplies, des odeurs désagréables, des insectes et nuisibles, de l’entassement d’objets, des infiltrations d’eau, des réclamations incessantes. Ces signes témoignent tous d’une difficulté à habiter avec soi-même, avec les autres, avec l’environnement.
Lors de ma pratique en tant que psychologue au Centre Médico Psychologique de la Belle de Mai à Marseille, j’ai été amenée à rencontrer de nombreuses situations complexes relevant à la fois d’une problématique « psy » et d’une difficulté d’habitat-habiter.
Voici une situation réelle que j’ai pu rencontrer :
« Madame D âgée de 60 ans vit seule dans un studio en résidence sociale. Le responsable de la résidence nous alerte car dit être inquiet par des comportements « bizarres » de Mme D qui produisent de nuisances dans le voisinage : Madame crie la nuit, jette de l’eau de javel dans les escaliers, démonte les tuyaux et les robinets de la cuisine et de la salle de bains. Des plaintes de voisinage sont déposées auprès du bailleur, des nombreuses réparations techniques sont effectuées par un plombier, des courriers de rappel du règlement sont envoyés à Mme D, or malgré toutes ces démarches mises en place par le bailleur les troubles persistent. Le bailleur fait donc appel à notre équipe d’intervention santé mentale et habitat composée d’un binôme psychologue-infirmière. Nous nous sommes donc rendus à domicile mais il a fallu trois visites pour que Madame D accepte de nous ouvrir la porte. Madame D vivait dans le noir absolu, les volets étaient fermés, seulement une petite lumière éclairait le logement. Après une mise en confiance Mme D a pu exprimer ses « peurs » et ses « angoisses » dans son logement. Mme D disait être menacée, poursuivie, surveillée et mise sous écoute. Elle nous signalait la présence de capteurs cachés dans les tuyaux et canalisations et du poison en poudre qui sortait de la douche. Elle disait être victime d’un complot, ses voisins voulaient la kidnapper et l’amener en Afrique, la prostituer, l’empoisonner… L’immeuble était empoisonné par des mauvaises esprits, l’eau de javel lui permettait de les éloigner… »
Comment faire face à une situation de détresse psychique dans le logement ?
Il a fallu plus d’un an de travail partenarial entre le bailleur, les services sociaux et la psychiatrie pour que Mme D puisse être prise en charge, elle souffrait de schizophrénie et n’avait jamais était soignée. Cette temporalité peut paraître longue pour les bailleurs, or lorsque on remonte dans l’histoire de ces personnes on remarque à chaque fois que ces situations sont le fruit de plusieurs années de tentatives échouées car les procédures habituelles mises en place par les bailleurs ne donnent pas de résultats.
Pour traiter une situation de détresse dans le logement, la préoccupation majeure de tout intervenant doit être centrée sur « comment créer ou recréer du lien » entre la personne souffrante et son environnement. Ces personnes ont souvent beaucoup de mal à accepter d’être aidées, seule une relation de confiance permet de faire évoluer la situation.
Il va ainsi s’agir de rechercher des réponses de façon collective dans ce qu’on appelle une logique de «responsabilité partagée » entre bailleurs sociaux et « psy » afin de prendre en compte la santé mentale dans le secteur du logement. Outiller les bailleurs sociaux, leur donner des clés de lecture et de compréhension sur la santé mentale nous semble être un incontournable dans l’accompagnement des troubles de l’habiter/habitat.
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